Assistance au suicide: perception au «ras des coquillages»

Briefe / Mitteilungen
Ausgabe
2019/06
DOI:
https://doi.org/10.4414/saez.2019.17512
Schweiz Ärzteztg. 2019;100(06):164

Publiziert am 06.02.2019

Assistance au suicide:
perception au «ras des coquillages»

A la question de savoir «quelle est la longueur du littoral de la Bretagne», des réponses très diverses peuvent être données, dépendant de la précision désirée mais surtout du point de vue choisi. Un satellite géo-stationnaire l’estimera à environ 2700 km alors qu’un promeneur arpentant ce même rivage, avec ses aspérités et irrégularités, pourra éprouver une valeur beaucoup plus grande.
Depuis la parution des Directives de l’Académie Suisse des Sciences Médicales (ASSM) concernant la fin de vie, beaucoup a été écrit aussi bien dans les publications professionnelles que dans la presse grand public. Très judicieusement, Samia Hurst [1] nous convie à une «pause café», arrêt sur image mais également «zoom arrière», prise de distance et de hauteur vis-à-vis de cette problématique dérangeante, en particulier pour les soignants.
Avec sa finesse habituelle, elle précise et restitue les grands principes de ces directives, ­insistant sur le rôle privilégié du médecin traitant (et de sa liberté propre de refuser la demande...), sur l’importance d’une souffrance qualifiée «insupportable» en tant que critère déterminant et d’une capacité de discernement formellement attestée.
Fin octobre, la FMH décide de ne pas reprendre les directives de l’ASSM dans son code de déontologie. Michel Matter, vice-président, explique que souffrance insupportable «renvoie à une notion juridiquement indéter­minée qui apporte beaucoup d’incertitude pour le corps médical» [2]. La «précision des normes», déjà citée par Michael Barnikol du service juridique de la FMH [3], exige qu’une disposition soit formulée de manière suffisamment précise afin que le citoyen puisse s’y conformer avec un degré de certitude ­correspondant aux circonstances. Ce principe s’adresse évidemment au contexte d’une décision extrêmement lourde de conséquence telle que l’assistance au suicide. C’est donc à propos de la notion de subjectivité (et même d’intersubjectivité...), qualifiant dans ce cas la souffrance «insupportable», que semble apparaître l’impossibilité de concilier les pratiques médicale et juridique.
La perspective du médecin pratiquant en cabinet ou en établissements médico-sociaux (EMS), quotidiennement en contact avec les patients et leurs familles, se rapproche bien davantage de celle du promeneur – «zoom avant» – sur le rivage du littoral. Sans prétention d’exhaustivité, certaines «aspérités et irrégularités» de ce sujet, qui méritent d’être discutées.
La demande d’assistance au suicide (même répétée et justifiée «par une souffrance insupportable»...) peut être l’expression de la colère et de la révolte, notamment chez des patients avec trouble de personnalité – de type «border­line» – dont la gestion en EMS est souvent un défi de taille pour les soignants. Il s’agit alors d’une véritable instrumentalisation de la demande, expression d’une souffrance ­psychique certes, mais également agressivité adressée aux proches de la famille ou au système de soins. Il s’agit alors d’éviter d’accepter la décision du patient en «désespoir de cause» ou en contre-attitude symétrique également agressive, en justifiant d’une capaci­té de discernement apparemment conservée.
A propos de la capacité de discernement, ­Samia Hurst semble éprouver une grande confiance en la compétence des psychiatres, jugés aptes à trancher dans les cas difficiles. Cependant, force est de constater que la psychiatrie est la discipline médicale la plus dépourvue de marqueurs biologiques et d’indicateurs valides. Dans sa mise en consultation des futures directives concernant le discernement, l’ASSM qui insiste sur une évaluation répondant à des «standards de qualité élevés» propose l’utilisation de l’outil «U-kit». Cet instrument permet la documentation détaillée de la situation et contient un arbre décisionnel très utile. Cependant, le diable se cachant souvent dans les détails, la proposition de ­justification «cohérente» de la décision du ­patient s’avère problématique. En effet, cette justification cruciale peut être soutenue par une argumentation «rationnelle et analytique» ou simplement basée sur «l’intuition».
Quel raisonnement peut-on (doit-on...) estimer adéquat dans le contexte de l’assistance au suicide? L’intuition est le mécanisme central de l’intelligence «intuitive» – appelée égale­ment «pensée magique» – dans laquelle la simple affirmation prend valeur de vérité et preuve irréfutable, au détriment de la «démonstration» de l’intelligence «hypothético-déductive». L’intuition du patient peut-elle être jugée suffisante?
Au vu de la grande difficulté des soignants à se déterminer, à propos de l’assistance au suicide, entre le respect de l’autonomie du patient et leur devoir d’assistance à son égard, il y a fort à parier que le sujet sera encore largement débattu.
Affaire donc à suivre et vastes débats en perspective...