Médecin impliqué dans du dopage, risques encourus

Tribüne
Ausgabe
2019/26
DOI:
https://doi.org/10.4414/saez.2019.17712
Schweiz Ärzteztg. 2019;100(26):905-908

Affiliations
Dr méd., spécialiste en médecine du sport, membre FMH

Publiziert am 25.06.2019

Il existe de nombreuses (bonnes) raisons de traiter une fois encore pour le corps médical entier le sujet hautement tabou du dopage. Nous nous proposons de le faire dans une perspective particulière, celle des risques encourus par un praticien impliqué dans une affaire de dopage dans le cadre de son activité professionnelle de médecin à l’intérieur de l’impressionnant filet tissé par les diverses institutions concernées.
L’indispensable révision de l’annexe 5 du Code de déontologie de la FMH et sa récente acceptation par la Chambre médicale [1], l’article en rapport paru dans ce bulletin récemment [2], le cas de dopage impliquant un médecin suisse, encore sous enquête, fortement médiatisé [3], ou encore la prise de position éditoriale musclée du vice-président de la Société Suisse de Médecine du Sport SSMS, prônant une tolérance 0 pour ce genre de délit dans Swiss Sports & Exercice Medicine [4], justifient amplement de revenir sur ce problème pas particulièrement bien connu du corps médical, le dopage.

Un rôle significatif des médecins

Même si la proportion des médecins sanctionnés dans des affaires de dopage est extrêmement faible par ­rapport au nombre de cas découverts (environ 2000/année à travers le monde, environ 15/année en Suisse), il n’en reste pas moins que, dans l’imaginaire collectif, un rôle significatif est très souvent attribué dans cette question aux médecins. A cet égard, la Commission Dubin, qui avait à traiter en 1988 au Canada le cas Ben Johnson, a notamment révélé que des médecins participaient activement au dopage des athlètes, en citant le fait que 15 000 sportifs utilisant des stéroïdes ana­bolisants pour améliorer leur performance avaient obtenu une prescription directement d’un médecin [5]! D’où cette suspicion quasi automatique, renforcée par quelques cas fortement médiatisés comme celui touchant à l’époque le médecin justement de Ben Johnson après la victoire de ce dernier aux Jeux olympiques de Séoul en 1988 ou, plus récemment, celui où était impliqué le médecin (gynécologue) espagnol Fuentes. La liste est loin d’être exhaustive! A notre connaissance, au jour d’aujourd’hui, aucun médecin helvétique n’a (encore) été condamné pour pratiques dopantes, le cas cité en introduction étant encore en instruction. Néanmoins, l’analyse des cas de dopage positifs traités par l’instance nationale en la matière, la Chambre disciplinaire pour les cas de dopage de Swiss Olympic [10], laisse ­entrevoir à diverses reprises une responsabilité non négligeable des membres du corps médical. Il est donc permis de se poser la question de savoir quelles sanctions risque un médecin impliqué dans une situation de ce genre, et quelles sont les conditions nécessaires pour que ces risques se concrétisent.
Tableau 1: Violations des règles antidopage (Code AMA, art. 2).
 1. Présence d’une substance interdite, de ses métabolites ou de ses marqueurs 
dans un échantillon fourni par un sportif
 2. Usage ou tentative d’usage par un sportif d’une substance interdite ou d’une ­méthode interdite
 3. Se soustraire au prélèvement d’un échantillon, refuser le prélèvement d’un échan­tillon ou ne pas se soumettre au prélèvement d’un échantillon
 4. Manquements aux obligations en matière de localisation
 5. Falsification ou tentative de falsification de tout élément du contrôle du dopage
 6. Possession d’une substance ou méthode interdite
 7. Trafic ou tentative de trafic d’une substance ou méthode interdite
 8. Administration ou tentative d’administration à un sportif en compétition d’une substance interdite ou d’une méthode interdite, ou administration ou tentative d’administration à un sportif hors compétition d’une substance interdite ou d’une méthode interdite dans le cadre de contrôles hors compétition
 9. Complicité
10. Association interdite

Rappel de ce qu’est le dopage

Les tentatives d’amélioration de la performance sportive sont aussi anciennes que le sport lui-même, et dans l’antiquité grecque déjà, il existait des amendes pour les tricheurs. Dans le sport moderne, c’est aux alentours des années 60 qu’une réglementation anti­dopage se met en place. En vertu du droit privé, la définition du dopage de l’AMA s’applique désormais à l’ensemble des sports et des pays: est considéré comme dopage une ou plusieurs violations des règles anti­dopage énoncées aux articles 2.1 à 2.10 du Code [7]! Le dopage dépasse ainsi de loin le seul fait de retrouver une substance interdite dans les urines d’un sportif.

Cadre légal

La lutte contre le dopage considérée de façon globale, à laquelle la Suisse s’est jointe sans réserve, s’articule autour de différents codes, lois et standards.
D’un point de vue international, le Code mondial anti­dopage de l’Agence mondiale antidopage [7] et six standards forment la base de référence pour la plupart des législations fédératives et nationales. Il faut ici rappeler que le Code est issu initialement du milieu sportif où il a force de loi. En la matière, il s’agit indiscutablement du document le plus complet, et on peut prétendre qu’il traite pratiquement tous les aspects du sujet.
Du point de vue national, en Suisse, la situation juridique entourant le dopage et, par conséquent, agissant sur le médecin impliqué dans une affaire de dopage en Suisse est réglée fondamentalement en regard du droit public par
i.) la loi sur l’encouragement du sport [6]
ii.) la loi sur les professions médicales [8]
et au regard du droit privé par
i.) le Statut concernant le dopage 2015 de Swiss Olympic [9]
ii.) la réglementation de la FMH [1]

La loi sur l’encouragement du sport [6]

Depuis le 1er octobre 2012, la Confédération dispose d’une nouvelle loi sur l’encouragement du sport et de l’activité physique, et celle-ci comporte une section ­entièrement consacrée aux mesures de lutte contre le dopage (section 2 LESp).
Dans les dispositions pénales, il y apparaît clairement que quiconque contrevient à la loi, donc le médecin également, est sujet aux sanctions qui prévoient une peine privative de liberté ou une peine pécuniaire, le cumul des deux étant possible dans les cas graves.
Un certain nombre de dispositions concernant la lutte contre le dopage peut également être trouvé dans l’ordonnance sur l’encouragement du sport et de l’activité physique, notamment aux art. 73ss OESp. L’une des dispositions les plus importantes est l’art. 74 OESp, qui ­indique quelles sont les substances et les méthodes ­interdites, en précisant que ce sont celles qui se trouvent en annexe de l’ordonnance. Cette liste n’est pas identique à la Liste des interdictions de l’AMA, parce que les substances specifiées, p. ex. les bêta-2 agonistes, les diurétiques, quelques stimulants (comme l’éphédrine) sont criminellement hors de propos pour eux. Dans la pratique, toutefois, cela n’a pas trop d’importance, puisque la liste la plus utilisée dans le sport en Suisse est celle publiée et distribuée par Antidoping Suisse, rigoureusement identique à celle de l’AMA, et plus contraignante que celle de l’OESp!

La loi sur les professions médicales [8]

En soi, la loi sur les professions médicales ne comprend aucune allusion spécifique au dopage, mais comme elle définit la bonne pratique médicale et ses déviances, elle sera très vraisemblablement citée en cas d’infraction d’un médecin en matière de dopage.

Le Statut concernant le dopage 2015 [9]

Pour les besoins de cette présentation, retenons la ­situation la plus classique d’une infraction aux lois du dopage, celle où un athlète est contrôlé «positif», ses analyses révélant la présence d’une substance interdite. Dans une telle situation, Antidoping Suisse, centre de compétences indépendant et responsable de la gestion des affaires antidopage en Suisse, financé par la Confédération et Swiss Olympic, traitera le cas selon le Statut concernant le dopage de Swiss Olympic [9]. Le centre décidera, si nécessaire, de le transmettre pour jugement à la Chambre disciplinaire de Swiss Olympic [10]. C’est donc cette instance qui décidera de la sanction, en application de ses règles de procédure, après avoir entendu l’athlète et sa défense. Le verdict est porté à la connaissance des différentes parties en Suisse, ainsi qu’à l’AMA. La décision de la Chambre peut être combattue autant par l’athlète et son entourage que par l’accusation devant le Tribunal arbitral du sport à Lausanne.
La Chambre disciplinaire dispose de la compétence de sanctionner toute personne qui est affiliée, d’une manière ou d’une autre, à une organisation sportive (club, fédération, compétition, etc.) placée sous la juridiction de Swiss Olympic. Les autorités de poursuite pénale sont responsables des violations commises par les soignants, tels que les médecins. On comprend ainsi aisément les difficultés soulevées par ce point en ce qui concerne les médecins, généralement en fonction libre (bénévole, sans contrat, etc.) dans ces institutions! Preuve en est qu’aucun professionnel de la santé n’a été amené à ce jour devant la Chambre disciplinaire!
Il faut signaler à cet endroit qu’Antidoping Suisse col­labore avec les autorités judiciaires et de poursuite ­pénale et vice-versa (art. 24 LESp). Antidoping Suisse collabore également avec le service des douanes pour tous les achats de substances prohibées arrivant de l’étranger.

La Fédération des médecins suisses FMH [1]

Tout médecin désireux de «traiter» des patients doit être en possession d’un droit de pratique décerné par l’autorité sanitaire cantonale. Pour l’obtenir, il faut obligatoirement être membre de la société cantonale de médecine, ou de la Fédération des médecins suisses FMH. Dans les deux situations, le médecin est tenu de respecter, faute de risque de sanction, le Code de déontologie de cette association professionnelle. De manière réjouissante, la FMH a prévu dans son art. 33 bis du Code de déontologie, et surtout dans une longue et différenciée annexe 5, toute une série de mesures pour s’opposer au dopage par des médecins. En même temps, l’art. 45 du même document définit comment une infraction à ce code peut être dénoncée et par qui, alors que son art. 47 définit les sanctions possibles, ­souvent sévères et très contraignantes pour l’accusé (lourdes amendes, suspension, retrait du droit de pratique, etc.).
Pour entrer en matière, l’infraction présumée doit être dénoncée par les membres de la FMH ou par des tiers, l’athlète lésé, par exemple.
La mise à jour de l’annexe 5 du Code de déontologie de la FMH était donc urgente pour permettre aux médecins qui prennent en charge des patients sportifs de se reposer sur des bases réglementaires claires, précises, mais surtout actuelles et conformes aux autres règles, qu’elles soient juridiques ou associatives, qui régissent la problématique du dopage.

La Société Suisse de Médecine du Sport [11]

Dans ses statuts (art. 2, §d), il est mentionné la volonté de lutter contre le dopage et garder le souci primordial de la défense de l’athlète. A l’art. 12 sont ­définis des motifs d’exclusion définitive ou temporaire, et la relation avec des violations de la loi contre le dopage est formellement nommée. Comme sanction, le retrait définitif ou transitoire de la certification de formation approfondie interdisciplinaire en médecine du sport SSMS est dûment mentionné. Il ne fait pas de doute que cette mesure n’est pas sans conséquences, puisque les fédérations sportives sont priées d’engager, comme collaborateurs médicaux, uniquement des titulaires porteurs de la qualification. Il en va de même pour la collaboration avec le comité national olympique, la Swiss Olympic Association.

Swissmedic

La prescription de médicaments en dehors de leurs ­indications officiellement enregistrées, nommée usage off-label, est une pratique fréquemment adoptée par les médecins dans leurs activités courantes. Elle n’est pas interdite, pour autant que cet usage ne transgresse pas le devoir de précaution du médecin et les règles reconnues des sciences médico-pharmaceutiques. Pourtant, en cas de problème (effet secondaire important, plainte du patient, etc.), le médecin prescripteur ne disposera d’aucune possibilité pour défendre son choix thérapeutique en faisant référence à un document officiel de l’autorité. Il ne pourra en aucun cas se retourner contre le producteur, vu qu’il aura utilisé son produit en dehors des indications officielles. En matière de dopage, il sera difficile de justifier la prescription d’EPO ou de stéroïdes anabolisants à un sportif en bonne santé de base [12, 13]!

Autres situations

Nous avons connaissance d’autres mesures contre des médecins du sport travaillant au sein de fédérations sportives ou de délégations olympiques nationales, telles qu’interdits de participation (refus d’accréditation) à des championnats mondiaux ou à des Jeux olympiques par la fédération internationale, respectivement le ­Comité international olympique, à la suite d’infractions commises sous une forme ou une autre au sens des réglementations de ces institutions. Même si ces sanctions sont de nature plutôt morale, elles n’en sont pas moins désagréables et peuvent avoir un caractère négatif par rapport à une réputation professionnelle.
Plus récemment, l’AMA a établi une liste de toutes les personnes faisant partie de l’encadrement d’un sportif et qui ont été sanctionnées pour violation des règles antidopage, en précisant la nationalité et la date de fin de la suspension infligée [14]. Cette liste poursuit uniquement un but informatif et se fonde sur les informations que l’AMA reçoit de la part de ses parties prenantes. Elle permet toutefois aux sportifs ou aux fédérations de savoir quelles personnes sont suspendues et d’éviter de commettre une association interdite au sens de l’art. 2.10 CMA. Cette liste se compose actuellement de 161 personnes. Ainsi, il convient de retenir de ces informations que le médecin qui est affilié à une fédération et exerce le rôle de médecin officiel d’un club ou d’une association risque d’engager sa responsabilité «sportive», en sus des responsabilités pénale, civile et professionnelle, ce qui pourrait par conséquent impliquer diverses procédures et sanctions distinctes.
Figure 1: Les médecins sont en contact avec diverses organisations sur les questions de dopage.

Synthèse

Officiellement, en tous cas, la lutte contre le dopage est devenue un objectif prioritaire universellement, autant dans le domaine sportif que politique. Pour y parvenir, un filet aux mailles étroites a été tissé par tous les protagonistes, et c’est cet ensemble de législations et règles que nous avons succinctement cherché à présenter. Il ressort que les représentants du monde médical sont pratiquement mentionnés dans tous les documents et que des mesures sérieusement contraignantes sont prévues pour toutes infractions commises par eux.
On peut ensuite affirmer que la Suisse a - en théorie du moins - bien respecté ses obligations conventionnelles en adoptant des lois réglant la problématique du dopage. La LESp règle tant les modalités des contrôles ­antidopage que les entraides entre les différentes autorités suisses et internationales. Toutefois, on ne peut que constater qu’à l’heure actuelle, trop peu de mesures sont prises à l’encontre de médecins qui commettent des fautes professionnelles, dans le cadre du traitement d’un sportif d’élite. Il serait souhaitable que les différentes autorités puissent poursuivre plus activement et plus efficacement les violations de la réglementation existante afin d’inciter les médecins ayant à traiter ce type de patients à agir avec une vigilance accrue.

Conclusions

Pour le médecin amené à soigner des sportifs, il y a plusieurs bonnes raisons de s’informer sur la réglementation concernant la lutte contre le dopage. La protection du patient doit certes être sa priorité, mais la sienne aussi n’est pas à négliger, au vu des risques encourus en rapport avec les législations antidopage en vigueur. Une bonne information est sans aucun doute la meilleure prévention contre des ennuis pour le moins dé­sagréables, intrusifs même, surtout si la violation des règlements en place a eu lieu involontairement [15].
Je remercie chaleureusement Monsieur Beat Steiner, juriste et vice-­directeur chez Antidoping Suisse pour sa relecture critique et ses conseils judicieux.
Dr méd. Peter Jenoure
jenoure[at]bluewin.ch
 1 Annexe 5 Code de déontologie de la FMH relative à la prise en charge médicale des sportifs.
 2 Révision des règles déontologiques sur le dopage; G. Clénin, J. Duruz, Bull Med Suisses. 2019;100(7):196–9.
 4 Editorial – Et tu, Brute? A. Leumann, Swiss Sports & Exercise Medecine. 2018;1:5–6.
 5 Le médecin et le dopage sportif; J. Samuël, Les Editions Thémis.
 6 La loi sur l’encouragement du sport; https://www.admin.ch/opc/fr/federal-gazette/2011/4543.pdf (consulté le 5 mars 2019).
 7 Code mondial antidopage 2015; https://wada-main-prod.s3.amazonaws.com/resources/files/wada-2015-world-anti-doping-code-fr.pdf (consulté le 5 mars 2019).
 8 La loi sur les professions médicales; https://www.admin.ch/opc/fr/classified-compilation/20040265/index.html (consulté le 5 mars 2019).
 9 Statut concernant le dopage 2015 de Swiss Olympic; https://www.antidoping.ch/fr/lois-et-reglements/droit-prive/statut-concernant-le-dopage (consulté le 5 mars 2019).
10 Règlement de procédure devant la Chambre disciplinaire pour les cas de dopage, en vigueur dès le 1er janvier 2013; https://www.antidoping.ch/sites/default/files/downloads/2015/verfahrensreglement_dk_2015_fr.pdf (consulté le 5 mars 2019).
12 Médecine pharmaceutique: de l’usage «Off Label»; P. Kleist, Forum Med Suisse. 2009;9(51–52):954–5.
13 Il medico di Michael Jackson (cosa conviene di sapere sull’uso off-label dei medicamenti; G.M. Zanini, Tribuna Medica Ticinese, février 2012;77:49–55.
15 Les risques encourus en Suisse par un médecin impliqué dans une affaire de dopage; Swiss Sports & Exercise Medicine. 2016;64(4).