Quand les «pédophiles» appellent à l’aide

Tribüne
Ausgabe
2021/40
DOI:
https://doi.org/10.4414/saez.2021.20056
Schweiz Ärzteztg. 2021;102(40):1304-1306

Affiliations
a Bachelor of medicine, Faculté de médecine, Université de Genève; b Dr méd., médecin adjoint responsable d’Unité, Unité interdisciplinaire de médecine et prévention de la violence (UIMPV), Hôpitaux universitaires de Genève

Publiziert am 05.10.2021

La prévention ciblant les personnes attirées sexuellement par les enfants et à risque de passage à l’acte est souvent mal comprise ou mal perçue par l’opinion ­publique et les professionnels de santé. Une meilleure sensibilisation sur le sujet est donc cruciale, surtout avec des ressources limitées.
«En Suisse, les offres de conseil et de traitement destinées aux personnes attirées sexuellement par les enfants comportent des lacunes.» Conseil fédéral, septembre 2020 [1]
On estime qu’un à 5% des hommes en Suisse, et au moins 50 000 personnes, ressentiraient une attirance sexuelle envers les enfants [2]. Du côté des victimes, 22% des filles et 8% des garçons subiraient des agressions sexuelles durant leur enfance [3]. Cette atteinte à l’intégrité physique, sexuelle et psychique des enfants peut avoir des conséquences dévastatrices. Il est alors pré­férable d’agir en amont, avant qu’il y ait des victimes.
Le trouble pédophilique diagnostiqué dès l’âge de 16 ans se différencie de la pédophilie et de l’hébéphilie (cf. DSM-V). Il ne faut pas associer directement pédophilie et passages à l’acte, les individus pédocriminels n’étant en majorité pas attirés sexuellement par les enfants.
La majorité des actes sexuels sont non pénétrants. Cependant, dans le Code pénal suisse, tous les passages à l’acte d’ordre pédophile sont condamnables, y compris la pédopornographie et les cas d’inceste.
D’autre part, une étude a montré que plus de 80% des violences sexuelles sont perpétrées par des personnes appartenant à l’entourage de l’enfant [4].

Des facteurs de risque aux passages à l’acte

Il existe une forte hétérogénéité de profils susceptibles de passer à l’acte, principalement des hommes adultes et des mineurs. De nombreux facteurs de risque, tels que l’exposition à la violence durant l’enfance, la frustration sexuelle, l’isolement, le niveau socio-économi­que bas, les comorbidités psychiatriques et abus de substances ou encore des sanctions pénales trop faibles, augmentent les risques de passage à l’acte et ­accentuent la nécessité d’intervenir précocement.
Il est également intéressant de se référer au processus menant à l’acte et d’analyser les freins tels que l’empathie, l’adhésion aux normes, la crainte du rejet social, la présence de figures de protection, des difficultés à créer des opportunités ou encore la résistance de l’enfant. Les passages à l’acte sont souvent prémédités durant des mois voire des années. Il est donc judicieux de désamorcer la situation le plus tôt possible et non pas dans l’urgence.

Les solutions n’arrivent jamais ni trop tôt ni trop tard

Soulevant un important tabou, la prévention primaire donne l’opportunité aux personnes attirées sexuellement par les enfants de prendre contact avec des associations, des professionnels de santé et d’avoir accès à tous types de ressources. Ces personnes peuvent ainsi bénéficier d’une prise en charge globale, avoir une meilleure qualité de vie, leur assurant une bonne intégration sociale. La prévention primaire contribue à diminuer le nombre de personnes à judiciariser, à prévenir les atteintes mentales et physiques, et apporte un bénéfice économique (coûts médicaux, système juridique, services apportés aux victimes).
Les personnes concernées peuvent bénéficier d’un soutien précoce, mais se trouvent freinées dans leur appel à l’aide par différentes barrières, telles que la culpabilité, la honte, un manque de confiance ou de motivation. D’autres obstacles, comme le déni, la minimisation de leur problème, la peur d’être dénoncées ou encore le manque de connaissances des structures, des traitements et des lois, contribuent à limiter le recours aux soins [5].
Comment venir alors en aide à cette population spé­cifique? Les moyens sont variés: structures d’accueil, campagnes de prévention, lignes d’écoute téléphoniques, sites internet; diverses ressources qui demeurent cependant à ce jour insuffisantes. «Il importe de combler les lacunes dans l’offre de prévention disponible en Suisse et de coordonner les offres», souligne le Conseil fédéral. En Suisse, les principaux centres sont les associations DIS NO et ESPAS ainsi que le service FORIO (Forensisches Institut Ostschweiz), proposant diverses prestations telles que des entretiens individuels ou accompagnés, une aide dans les démarches à effectuer ainsi qu’une redirection vers des thérapeutes formés. Des thérapies de groupe, traitements médicaux ou des formations notamment afin de sensibiliser les adultes en contact avec des enfants dans le cadre de leur travail peuvent également être conseillés. Les experts insistent pour que les thèmes autour de la pédophilie soient davantage approfondis dans la formation de base, postgrade et continue des professionnels.

La prévention se met en place

A plus large échelle, le service intercantonal de la Prévention Suisse de Criminalité a mené entre 2005 et 2007 la campagne de prévention «Stop pornographie enfantine sur Internet» dans le but d’instruire le grand public. Les consommateurs perçus alors comme des auteurs potentiels pouvaient trouver différentes ressources les aidant à gérer une certaine dépendance sexuelle ou vis-à-vis d’internet. Des brochures, magazines et vidéos sont des exemples de médias utilisés, ayant par exemple pour slogan «la pornographie enfantine est un crime. Derrière chaque image, une victime...»
A l’étranger, l’une des premières campagnes à avoir vu le jour est «Kein Täter Werden», dont l’étude porte le nom de «Projet de Prévention Dunkelfeld». Développée en 2005 par le Centre de médecine sexuelle de l’Hôpital de la Charité à Berlin, elle ciblait les personnes ­potentiellement à risque ou ayant déjà commis un ­passage à l’acte et n’ayant pas été repérées par les autorités dans l’optique de les encourager à suivre une thérapie médicale accompagnée. Utilisant des slogans comme «Aimez-vous les enfants plus qu’ils ne le veulent?», elle a permis d’identifier cette population invisible.
Si la majorité des ressources institutionnelles et associatives étrangères se situent au Canada et aux Etats-Unis, il est important de citer les CRIAVS (Centres Ressources pour les Intervenants auprès des Auteurs de Violences Sexuelles) développés en France à partir de 2008, un modèle de soins potentiellement trans­posable à la Suisse. S’agissant d’un réseau décentralisé constitué d’équipes pluridisciplinaires, ces centres ont pour but d’améliorer la prise en charge des auteurs par la coordination des différents intervenants, la promotion du travail en réseau, la diffusion des connaissances, le soutien et le conseil auprès des acteurs.
Le 10 juin 2021, il a été annoncé dans la presse romande (RTS la 1ère) le lancement d’un nouveau réseau national par quatre institutions psychiatriques (Bâle, Zurich, Frauenfeld et Genève): «mieux prévenir et traiter la ­pédophilie». Ce réseau vise à améliorer l’offre thérapeutique, mettre en place des campagnes de publicité et apporter l’aide psychothérapeutique nécessaire aux personnes pédophiles.
Ainsi, il devient évident que ces offres de prévention permettent de réduire les risques d’atteinte à la santé, bien que leur efficacité reste à ce jour difficile à prouver statistiquement.

Nécessité de former le corps médical

Afin de pouvoir espérer une amélioration de ce problème de santé publique, une prise en charge des individus à risque de passage à l’acte précoce et adéquate est nécessaire [6]. Cela devrait commencer par la recherche et des formations sur le sujet à l’attention des médecins généralistes, pédiatres, psychiatres, pédopsychiatres, psychologues, sexologues, etc., proposant diverses stratégies à mettre en pratique dans leurs consultations. Il est important de les encourager à reconnaître dans un premier temps les personnes ayant des fantasmes pédophiles ainsi que leur risque de passage à l’acte. Pour ceci, il devient primordial d’approfondir la question de la sexualité et des violences en consultation. Concernant l’évaluation du risque de passage à l’acte, des questionnaires existent, mais ils sont chronophages [7].
Si un tel attrait est relevé ou constitue le motif de la ­venue, une attention particulière devrait être portée sur la souffrance, la honte et la prise en charge des comorbidités tout en sachant rediriger le patient vers des thérapeutes formés ou un centre spécialisé.
Ces formations devraient aussi sensibiliser à la stigmatisation autour du «pédophile» qui est l’une des premières barrières empêchant la demande d’aide, ce stress étant un facteur de risque indirect de passage à l’acte [8].

L’essentiel en bref

• 1 à 5% des hommes en Suisse ressentiraient une attirance sexuelle envers les enfants.
• De nombreux facteurs augmentent les risques de passage à l’acte et la nécessité d’intervenir tôt: exposition à la violence dans l’enfance, frustration sexuelle, isolement, niveau socio-­économique bas, comorbidités psychiatriques, abus de substances, sanctions pénales trop faibles.
• Les personnes concernées peuvent bénéficier d’un soutien précoce. Les freins sont toutefois nombreux: culpabilité, honte, manque de confiance, déni, minimisation du problème, peur d’être dénoncées, manque de connaissances des structures. Les moyens d’aide restent par ailleurs insuffisants.
• Quatre institutions psychiatriques ont récemment lancé un réseau national de prévention. Il vise à améliorer l’offre thérapeutique, mettre en place des campagnes et apporter l’aide psychothérapeutique nécessaire aux personnes pédophiles.
• Une prise en charge précoce et adéquate devrait commencer par des formations destinées au corps médical, proposant ­diverses stratégies à mettre en pratique en consultation.

Das Wichtigste in Kürze

• Man geht davon aus, dass 1 bis 5% der Männer in der Schweiz eine sexuelle Neigung zu Kindern haben.
• Viele Faktoren erhöhen das Risiko des sexuellen Missbrauchs: Gewalterfahrungen in der Kindheit, sexuelle Frustration, Isolation, niedriger sozioökonomischer Status, psychiatrische Komorbiditäten, Drogenmissbrauch, schwache strafrechtliche Sanktionen.
• Die betroffenen Personen können von einer frühzeitigen Unterstützung profitieren. Es gibt jedoch viele Hindernisse: Schuldgefühle, Scham, mangelndes Selbstvertrauen, Verleug­nung oder Verharmlosung des Problems, Angst vor einer Anzeige, mangelnde Kenntnis des Hilfsangebots. Zudem sind die Hilfsmittel noch unzureichend.
• Vier psychiatrische Einrichtungen haben kürzlich ein nationales Netzwerk zur Prävention gegründet. Es zielt darauf ab, das therapeutische Angebot zu verbessern, Kampagnen durchzuführen und Pädophilen die notwendige psychotherapeutische Hilfe zu offerieren.
• Eine frühzeitige und angemessene Behandlung sollte mit Schulungskursen für die Ärzteschaft beginnen, in denen verschiedene Strategien für die Beratung angeboten werden.
Dr méd. Emmanuel Escard
Unité interdisciplinaire de médecine et prévention de la violence (UIMPV) 
Hôpitaux universitaires de Genève
Boulevard de la Cluse 75
CH-1205 Genève
emmanuel.escard[at]
hcuge.ch
1 Le Conseil fédéral. Offres de prévention destinées aux personnes attirées sexuellement par les enfants: Rapport du Conseil fédéral. Berne: Confédération Suisse; 2020.
2 Ancona L, Boillat F. Abus sexuels envers les enfants: éviter le premier passage à l’acte. Etat des lieux et analyse de la situation au niveau international. Perspectives pour la Suisse romande. Monthey: Editions DIS NO; 2012.
3 Schmid C. Mauvais traitements envers les enfants en Suisse: formes, assistance, implications pour la pratique et le politique. Zurich: UBS Optimus Foundation; 2018.
4 Marchand J, Deneyer M, Vandenplas Y. Detection, diagnosis, and prevention of child abuse: the role of the pediatrician. Eur J Pediatr. 2012;171:17–23.
5 Knack N, Winder B, Murphy L, Fedoroff JP. Primary and secondary prevention of child sexual abuse. International Review of Psychiatry. 2019;31(2):181–94.
6 Soldati L, Eytan A. Traitement des agresseurs sexuels: possibilités et limites. Rev Med Suisse. 2014;10(422):647–50.
7 Seto MC, Sandler JC, Freeman NJ. The Revised Screening Scale for Pedophilic Interests: Predictive and Concurrent Validity. Sex Abuse. 2017;29(7):636–57.
8 Jahnke S, Imhoff R, Hoyer J. Stigmatization of people with pedophilia: two comparative surveys. Arch Sex Behav. 2015;44(1):21–34.