Quelques réflexions à propos de la pénurie de médecins généralistes (avec réplique)

Briefe an die Redaktion
Ausgabe
2022/47
DOI:
https://doi.org/10.4414/saez.2022.21186
Schweiz Ärzteztg. 2022;103(47):21-22

Publiziert am 22.11.2022

Quelques réflexions à propos de la pénurie de médecins généralistes (avec réplique)

1. La densité médicale en Suisse (un médecin pour 250 habitants) figure parmi les plus élevées au monde;
2. Le manque actuel de généralistes, internistes et pédiatres est lié à un choix préférentiel des diplômés vers d’autres disciplines;
3. Les diplômés actuels souhaitent une vie moins harassante et si possible plus lucrative que celle de leurs prédécesseurs généralistes;
4. Les réseaux de cliniques privées structurés contribuent à l’hypertrophie de disciplines et actes lucratifs aux dépens des secteurs médicaux moins rentables; le rôle du médecin interniste généraliste doit être mis en évidence/défini comme primordial dans les soins de première ligne;
5. La seule mesure déjà prise d’augmenter le nombre d’étudiants est à la fois différée (sans effet avant dix ou douze ans) et susceptible même d’être contre-productive (les autres spécialités resteront systématiquement avantagées en l’absence d’un numerus clausus);
6. En tant qu’organisation privée et corporation/syndicat, la FMH répugne à proposer un numerus clausus dans les disciplines lucratives. Les 26 autorités cantonales ne sont pas bien outillées pour définir une clause du besoin (à noter que dans plusieurs pays européens – France, Espagne, Belgique – les facultés de médecine gèrent l’accès aux spécialités et leur reconnaissance);
7. En plus d’un numerus clausus dans les disciplines lucratives, une meilleure rémunération des actes des généralistes (via une diminution de la rétribution des actes techniques) et une promotion des cabinets de groupe, prenant en compte leur répartition dans chaque canton et la féminisation de la profession, apparaissent comme des moyens efficaces de lutter contre la pénurie actuelle de médecins généralistes et internistes.
Prof. hon. Jean-Pierre Wauters, ancien vice-doyen de l’Université de Lausanne, Cully, Dr méd. Jean Martin, ancien médecin cantonal, Echandens

Réplique à «Quelques réflexions à propos de la pénurie de médecins généralistes»

Monsieur le Professeur, Monsieur le Docteur, chers collègues,
Je vous remercie pour votre courrier à la rédaction, qui me donne l’occasion de vous exposer mon point de vue sur ce sujet important. C’est donc avec plaisir que je réponds à vos déclarations, point par point:
1. Comparée au reste du monde (de l’Afghanistan au Zimbabwe), la densité de médecins est effectivement élevée en Suisse. Elle se révèle cependant comparable à celle de pays dont la qualité des soins est analogue. En 2017, la Suisse comptait 4,4 équivalents temps plein de médecins pour 1000 habitants, contre 4,2 en Allemagne et 5,2 en Autriche.
2. Le manque de médecins de premier recours se rapporte surtout au nombre insuffisant que nous en formons, et non à de nouvelles préférences dans leur choix d’une discipline. La plupart des jeunes médecins en Suisse viennent de l’étranger. C’est parmi ceux-ci que l’on trouve moins de médecins de premier recours que d’autres spécialistes.
3. Ce n’est pas un défaut, mais un mérite de la nouvelle génération que d’insister sur le respect des lois sur le travail. En moyenne, un médecin en formation à temps plein travaille toujours 56 heures par semaine! De plus, avec la pression croissante sur les coûts de la santé et l’augmentation simultanée des besoins en matière de soins, les diplômés actuels mènent sans doute une vie moins «lucrative» que la génération qui les a précédés.
4. Je partage votre revendication concernant le rôle primordial que doivent tenir les médecins internistes généralistes dans les soins de premier recours. Néanmoins, on ne peut pas imputer aux cliniques privées le fait que la pénurie de médecins en Suisse est particulièrement criante en médecine de premier recours. Comme je viens de l’expliquer, ce problème résulte de déficits au niveau de notre formation.
5. Une augmentation du nombre de places d’études ne peut produire qu’un effet retardé en raison de la longueur des études de médecine et de la formation postgraduée. Mais c’est surtout l’insuffisance de cette augmentation qui constitue le problème. En 2011, le Conseil fédéral estimait qu’il fallait annuellement entre 1200 et 1300 nouveaux médecins pour couvrir les besoins «entièrement avec des professionnels de la santé formés en Suisse». Or, cette même année, pour compléter les 795 diplômes remis en Suisse, il avait déjà fallu reconnaître 1930 diplômes de médecin délivrés à l’étranger. Oui, l’augmentation du nombre de places d’études s’avère urgente, et particulièrement pour pallier la pénurie de médecins de premier recours. En revanche, un numerus clausus relatif aux disciplines spécialisées ne s’appliquerait qu’aux médecins formés en Suisse, ce qui ne correspond donc environ qu’à une moitié de la relève médicale de ces dix dernières années.
6. La FMH s’engage pour des solutions ciblées dans le domaine de la santé. Un numerus clausus dans les disciplines spécialisées ne peut pas résoudre notre problème. Il faut par contre multiplier la formation des médecins, car leur préférence les oriente toujours volontiers vers les disciplines de premier recours.
7. Le renforcement de la médecine de famille est une préoccupation centrale du TARDOC. Son nouveau chapitre à ce sujet et la revalorisation de la prestation médicale par rapport à la prestation technique apportent déjà d’importants changements. Malheureusement, le Conseil fédéral bloque actuellement cette révision tarifaire. Quant aux cabinets de groupe, ils ont le vent en poupe depuis des années; de 40% en 2011, leur proportion a augmenté à 53% en 2021, sans promotion spécifique ni mesures de contrôle.
Yvonne Gilli, présidente de la FMH