Un guide stimulant

A propos d’une période majeure de l’existence

Horizonte
Ausgabe
2019/15
DOI:
https://doi.org/10.4414/saez.2019.17741
Schweiz Ärzteztg. 2019;100(15):565

Affiliations
Dr méd., membre de la rédaction

Publiziert am 09.04.2019

Jean-Pierre Fragnière
La retraite
Quels projets de vie?
Lausanne: Editions Socialinfo; 2019.
154 pages.
Jean-Pierre Fragnière, spécialiste des enjeux liés à ce qu’il appelle la «société de longue vie», a enseigné les sciences sociales, particulièrement la politique sociale, à la HES de travail social de Lausanne et aux Univer­sités de Genève et Neuchâtel. Il a récemment retenu l’attention avec un livre sur la fin de vie [1].
Son dernier ouvrage est un tour d’horizon-bilan-guide sur la retraite, cette période devenue de plus en plus importante: en termes de croissance démographique des retraités, de leur santé, bonne le plus souvent – qui leur permet de s’adonner à de multiples activités, notam­ment des registres culturel et physique/sportif; au vu aussi de leurs besoins majeurs quand vient la maladie et la dépendance. «Avons-nous conscience, demande l’auteur, d’être engagés dans un débat qui se fonde sur une histoire de plusieurs succès»: allongement de l’espérance de vie, autonomie accrue pour beaucoup – notamment les femmes et les personnes handicapées, possibilités de formation, amélioration de la couverture médico-sanitaire et sociale.
Il n’est pas exagéré de parler de la retraite comme d’une nouvelle vie, qui appelle quatre questions: 1) De quel­-les images de la vieillesse suis-je habité, me permettent-elles de construire l’avenir?; 2) Quel contenu donner aux jours et aux années qui s’offrent?; 3) Comment gérer les risques inhérents à ces transformations – porteuses de formes nouvelles de vulnérabilités auxquelles il faut faire face; 4) Quel sera mon statut dans un environnement qui ne va pas manquer d’étiqueter mes choix et mes attitudes?
Parmi les titres de chapitres: «Les vieux, ça n’existe pas»; «Une carrière à inventer»; «De nouveaux rapports à la société»; «Conquérir sa place»; «Quatre générations solidaires». Le retraité d’aujourd’hui se reconnaît le droit de vivre toutes les dimensions de la vie sociale: citoyen, partenaire d’une relation affective, consommateur, etc.
A propos de laisser sa place: «En période de croissance et de mobilité ascendante, la question se résout assez naturellement. Dans les temps marqués par une ‘panne de l’ascenseur social, la fin de carrière résonne des invitations à s’effacer, à faire place nette. Et la même musique peut accompagner les tentatives de conserver une part d’activité […] Cette période est aussi habitée par la question de la transmission du savoir acquis, du ­savoir-faire, de l’expérience» (expérience dont – J. M. – je cite souvent la formule qui dit qu’elle est la seule chose qui ne s’apprend pas dans les livres). Le retraité doit apprendre à accueil­lir, conseiller et partager. Une bonne formule de Vauvenargues: «Les conseils de la vieillesse éclairent sans échauffer, comme le soleil d’hiver.»
Le retraité a un devoir d’ouverture, son poids sur la vie sociale et politique implique un effort de compréhension des nouveaux besoins. Il s’agit aussi de réduire les forces qui tendent à placer les diverses générations dans des ghettos. Le problème grave, universel peut-on dire, de la croissance des inégalités est souligné. A ce propos: «la pratique des solidarités est la condition de l’existence des autonomies.»
Noter cet encouragement à relativiser les choses (dans le bon sens): «L’approche de ce temps de la vie invite à accep­ter des solutions approximatives, à cultiver une ­tolérance solide face aux hésitations et aux échecs. [Pour établir ses projets de retraité,] rédiger et réécrire plusieurs brouillons.» N.B: «Parler de retraite ne saurait en aucun cas correspondre à un projet de retrait.»
L’avant-dernier chapitre, «Il faudra bien mourir», esquisse l’ensemble du travail éthique auquel sont appelés, devant la fin prochaine d’une personne, ses proches, les professionnels (de la santé, du social, du droit même). Avec cette phrase de Vladimir Jankélévitch: «Quand on pense à quel point la mort est familière et combien totale est notre ignorance, et qu’il n’y a jamais eu de fuite, on doit avouer que le secret est bien gardé.»
Affirmer que «La retraite» perce tous les secrets d’une vie bien vécue après la cessation de l’activité de l’âge adulte serait prétentieux. Mais ce livre apporte une réelle contribution dans ce sens, de manière struc­turée en sections courtes et claires, agréable à lire, ­vivante.
jean.martin[at]saez.ch
1 Crettaz B., Fragnière J.-P. Oser la mort. Lausanne: Editions Socialinfo, 2018. Voir Martin J. Deux humanistes parlent de leur mort à venir. Bull Méd Suisses. 2018;99(04):123–4.